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Histoire: Le mois des Noirs

(Haiti) Marcel Gilbert, penseur et éducateur, pour le mois de l'histoire des Noirs

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Dans le cadre du mois de février consacré à l’histoire des Noirs, Haïti Connexion Network se fait le devoir de vous présenter l’un des  siens (notre oncle Marcel Gilbert) dans une interview en 1987 avec le jourrnaliste de regrettée mémoire Jean L Dominique. Ceci pour rendre hommage à ces deux militants qui ont forgé quelque peu l’un des courants idéologiques de l’intelligentsia haïtienne.  Dans cette interview, le philosophe penseur Marcel Gilbert explique les racines historiques du duvaliérisme et les origines de l’état kleptocratique en Haïti  – un état qui vend et exploite le travail de ses citoyens, allant jusqu’à vendre les corps et le sang de son peuple. 

En se basant sur des analyses de Michel-Rolph Trouillot, entre autres intellectuels, il parle des classes sociales et du pouvoir en Haïti, de la compétition électorale entre Daniel Fignolé et Louis Déjoie en 1956-1957 qui a amené François Duvalier au pouvoir, ainsi que de la « question de couleur » et de l’idéologie noiriste. Gilbert demande à ce que la question de la paysannerie haïtienne soit intégrée dans le pouvoir politique et l’analyse des classes en Haïti. Selon lui, la démocratisation du pays dépend de la création d’un projet politique qui comprend la majorité du peuple, en particulier les paysans, et qui encouragerait des alliances entre les paysans, le secteur bourgeois agro-industriel et la classe moyenne. Cet entretien a été puisé dans les archives de Haïti Connexion Network. Bonne écoute!

Hervé Gilbert 

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Herve Gilbert · Interview Marcel Gilbert -Jean Dominque
Interview de  Jean L Dominique - Marcel  Gilbert le 23 mars 1987

​Marcel Gilbert, un philosophe au service de l’humanité

Par Eddy Cavé
De tous les professeurs que j’ai eus au secondaire, Marcel Gilbert est sans conteste celui que j’ai le plus admiré, qui m’a marqué le plus et à qui je dois le plus. De tous les idéologues de gauche que j’ai fréquentés et pratiqués de façon assidue, il est sans nul doute le plus conséquent et le plus attachant. Parmi les aînés qui ont guidé mes pas durant l’adolescence et la jeune vingtaine et qui sont devenus des amis à l’âge adulte, Marcel occupe une place de choix, ainsi que sa femme Simone dont je ne cesserai jamais de louer les grandes qualités de cœur et d’esprit. Je garde aussi un excellent souvenir de son ami le professeur, idéologue  et militant de gauche Max Chancy, que je tiens à associer à cet hommage.

​Continuer en bas

​J’ai véritablement connu Marcel en 1957, année où il a accédé à la direction du lycée Pétion où je rentrais pour mes humanités. Renvoyé du Collège Saint-Louis de Jérémie avec une dizaine d’autres camarades qui refusaient de se soumettre aux diktats d’une petite clique de prêtres bretons rétrogrades, arrogants et arbitraires, j’ai trouvé dans ce lycée tout ce qui manquait à mon épanouissement : un enseignement laïque de première qualité; une grande ouverture d’esprit par rapport aux idées libérales du siècle des Lumières; des relations de respect mutuel et d’affection presque paternelle entre professeurs et  élèves.  Bref, l’environnement  idéal pour cet adolescent qui glissait inconsciemment vers l’athéisme, refusait la mémorisation à outrance, le scoutisme et toutes les formes d’embrigadement collectif de la jeunesse.

Je l’ai visité à quelques reprises en août 1986 chez Heneck et je dois dire que je l’ai trouvé un peu perdu, désorienté, attristé. Comme tous les militants sortis sans transition de la clandestinité pour affronter à visière levée les forces du statu quo, Marcel repartait en Haïti avec de sérieux handicaps. Les jeunes des générations qui venaient de faire violemment irruption sur la scène politique ne connaissaient aucun d’eux et ils avaient grandi dans un contexte que ces revenus de l’exil ne connaissaient pas. Jean Dominique l’avait dit dès sa descente d’avion. En outre, cette tranche de la population  avait déjà ses idoles, ses leaders et elle partait sans la formation requise à la conquête du pouvoir. Comme la belle équipe de Rivière Hérard et des signataires du Manifeste de Praslin à la chute de Boyer en 1843.

Je n’avais aucun moyen de prévoir comment la bamboche démocratique du général Namphy allait s’achever, surtout après les échauffourées de l’opération Rache Manyok de Mgr Romélus, mais j’étais très inquiet au moment de reprendre l’avion pour le Canada. Outre les préoccupations que l’avenir du pays suscitait en moi, il y avait Marcel que je voyais un peu comme Daniel dans la cage aux lions..


Dès l’ouverture des classes au lycée Pétion, je rentrais dans le moule de cet établissement séculaire comme s’il avait été façonné pour moi. Cela n’était sans doute pas l’œuvre de Marcel, mais sa présence y était pour beaucoup.
 
Nommé directeur du Lycée en remplacement d’Edner Saint-Victor après le renversement de Paul Magloire en décembre 1956, Marcel héritait de l’établissement d’enseignement public le plus prestigieux du pays. Il y avait d’ailleurs gagné ses épaulettes en enseignant les mathématiques d’abord, puis la philosophie pendant de nombreuses années et en jouant un rôle de premier plan au Conseil des professeurs. En outre, il était assisté dans sa mission du corps professoral le plus impressionnant qu’on pouvait trouver à l’époque.


Sur le plan administratif, Marcel  était assisté  par le censeur des études Chrysostome Laventure, surnommé Mèt Tutu,  qui était réputé pour sa sévérité, son sens de la discipline, sa grande droiture et surtout sa passion pour la justice. Le surveillant général était Ernest Châtelain, qui remplaçait au pied levé les professeurs absents et séduisait les classes par sa verve et son éloquence. À la révocation de Marcel par le régime Duvalier, à l’été 1960, Laventure fut promu directeur à la stupéfaction générale, Châtelain, censeur, tandis que Pierre Duviela  revenait comme surveillant général. Cette équipe se débrouilla assez bien, mais la débandade commencée ailleurs ne tardera pas à s’étendre au Vieux lycée.
​
​ Des trois années passées par Marcel à la direction du Lycée, il y a lieu de retenir la syndicalisation des professeurs de l’enseignement secondaire avec la création de l’Union Nationale des Maîtres de l’Enseignement Supérieur (UNMES); la grève d’un jour qui força Duvalier à capituler en 1959 dans son projet de réduction des appointements ; les extraordinaires taux de réussite des élèves du Lycée Pétion aux examens officiels du baccalauréat. En 1959, 43 des 50 élèves présentés par le Lycée pour la Philo C réussirent dès la session ordinaire de  juillet. Par la suite, on  retrouvait leurs noms au haut des listes d’admission des facultés les plus exigeantes, dont Médecine et Polytechnique. La débâcle commença l’année d’après avec la dissolution du syndicat et les persécutions des professeurs révoqués, dont Marcel lui-même. Plusieurs y laisseront leur peau, par exemple Mario Rameau, Guy Lominy, Jean-Jacques Dessalines Ambroise et son épouse.

La promotion inscrite en philo en octobre 1959, donc la mienne, n’a donc pas eu Marcel comme professeur, mais Chavannes Douyon  beaucoup plus à son aise dans l’enseignement de la psychologie que de la logique. La déception était donc totale de ce côté. Circonstance aggravante, le cours d’histoire était assuré par le Dr René Piquion, dessalinien farouche, dont la mission principale semblait être de nous inculquer l’idolâtrie du Fondateur. « Dessalines est un bloc », se plaisait-il à répéter, s’abstenant  de couvrir le programme qui s’étendait pourtant  jusqu’en 1915. La solution qui s’offrait donc à nous était  d’encourager Marcel et Mario Rameau à dispenser des cours privés en soirée. C’est ce qui a été fait.

Éjectés tous les deux du Lycée, qui était le point de contact privilégié avec la jeunesse, ces deux professeurs devaient se trouver à la fois un moyen de subsistance  et une autre tribune pour la diffusion des théories révolutionnaires et l’émulation de la jeunesse. Je garde  un souvenir ému des débuts de cette expérience de Marcel dans le privé. D’abord, l’idée des « Cours privés de philosophie Marcel Gilbert »  lui déplaisait profondément, et il pensait, en donnant dans une forme d’utopie, qu’il suffirait de fixer le coût à la modique somme de deux  dollars par mois et que le tout se déroulerait normalement. Les cours se donnaient au collège Simon Bolivar, à Lalue, et nous étions plus d’une soixantaine à y assister.
 
À l’évidence, il fallait un minimum de gestion et de comptabilité, ce qui répugnait un peu au philosophe. J’acceptai de m’en occuper à la condition qu’il se limite à enseigner et  me donne les pleins pouvoirs pour le reste. Je vois encore le regard attristé et sceptique avec lequel il acquiesça à ma formule de collecte des mensualités : dans un premier temps, il annonce ma nomination comme teneur des Cours Marcel Gilbert et il demande aux élèves  de régler la note le premier jour du mois. Le deuxième jour, j’annonçais que seuls les élèves qui ont payé seront habilités à suivre les cours. Puis, je demandai de vider la salle et je procédai à l’appel nominal des élèves en règle avec la Comptabilité.
 
Comme par enchantement, tous les retardataires avaient leurs billets de 10 gourdes en main au moment de passer la porte, sauf un seul, qui me lâcha une insanité au moment d’ouvrir son portefeuille. Mais il régla quand même. À en juger par la pochette de Lucky Strike qui transparaissait de  sa chemise de nylon, le gars était tout simplement de mauvaise foi. Le message était passé :  le professeur avait une famille à nourrir et avait droit à une rémunération, même symbolique. À noter que l’enseignement de bonne qualité avait cessé d’être totalement gratuit en Haïti. Marcel renouvela l’expérience durant  les années suivantes, jusqu’à son départ pour l’Afrique en 1965. De mon côté, j’avais quitté Port-au-Prince après l’échec de la grève des étudiants de 1960-1961 pour m’établir d’abord à Jérémie, puis pour partir étudier au Chili.


À l’édition 2011 de Livres en folie où je signe De mémoire de Jérémien à Port-au-Prince, je rencontre Mme Alphonsine Bouya, une fonctionnaire congolaise du Programme alimentaire mondial (PAM) passionnée de livres haïtiens et récemment mutée de Rome. Elle me parle avec enthousiasme des amis et professeurs haïtiens qu’elle a eus à Brazzaville, ce, jusqu’au moment où le nom de Marcel Gilbert tombe dans la conversation. Et c’est au bord des larmes qu’elle voit la photo de Marcel dans le livre en compagnie de Max Chancy, cet autre monument de l’enseignement de la philosophie en Haïti.
 
Mme Bouya explique avec une émotion poignante aux  amis éberlués réunis autour de la table ce que Marcel Gilbert représentait pour elle et de nombreux Congolais de sa génération. C’est ce mentor, nous explique-t-elle, qui a fait de l’élève désespérée de ne pas avoir la bosse des mathématiques qui lui a donné confiance en elle-même et contribué le plus à faire d’elle la spécialiste internationale en secours d’urgence qu’elle est devenue. Un témoignage complètement inattendu déclenché par les seules vertus d’une photo.E;;e m'en a donné d'autres par la suite dont celle-ci.
 
Je savais que, socialiste jusqu’au tréfonds de son âme, Marcel avait suivi un extraordinaire parcours durant son exil sur la terre d’Afrique et qu’il y avait réalisé une grande partie des rêves que lui interdisait la dictature féroce instituée au pays. Notamment celui de pratiquer l’enseignement à la manière d’un sacerdoce. De cette rencontre avec Alphonsine et de notre affection commune pour Marcel est née une amitié qui dure encore et à qui je dois la confirmation de tout ce que j’ai pu entendre de merveilleux sur la contribution de l’ami Marcel à la formation et la conscientisation de jeunes Congolais.
 
La lutte clandestine
J’étais suffisamment bien placé dans les organisations de jeunesse, surtout celles de la gauche, pour savoir que Marcel était une des têtes dirigeantes d’un des deux grands partis clandestins du pays : le Parti d’entente populaire (PEP) et le Parti populaire de libération nationale (PPLN). Par discipline et pour les mêmes raisons de sécurité qui avaient présidé au choix de la formule de cellules ayant très peu de lien entre elles et sans contact direct avec l’état-major, personne n’essayait de savoir plus que ce que disaient les bulletins distribués sous le manteau.
 
De même, aucun des jeunes militants de la base des partis ne cherchait à s’informer sur les chefs. Les renseignements d’ordre général sur l’orientation idéologique et les choix stratégiques nous suffisaient, et c’était bien comme cela. Je fus donc extrêmement surpris quand, à ma première rencontre avec Jacques Alexis, ce dernier me demanda à brûle-pourpoint de monter une antenne du Parti à Jérémie, avec son ami l’agronome Scirth (Toto) Dougé. Marcel Gilbert n’aurait jamais pris un tel risque avec un jeune homme de moins de 20 ans.
 
J’ai eu récemment la surprise de ma vie quand, en visionnant le documentaire d’Arnold Antonin sur Jacques Stephen Alexis, j’ai entendu Guy Dallemand, un ancien militant du PEP, affirmer que le PPLN de Marcel Gilbert recevait ses instructions directement de Moscou, tandis que le PEP fonctionnait en toute indépendance. De vieux relents d’une rivalité de partis complètement désuète! À ma connaissance, Marcel n’avait pas un parti et c’est un fait connu que Roger Gaillard, Mario Rameau, Jean-Jacques Dessalines Ambroise, Toto Guichard et lui ont appartenu au Comité central. Et que le Parti ira jusqu’à créer sa propre maison d’édition, Les Éditions du Livre Progressiste, pour mieux diffuser ses analyses.
 
Dans le tome IV de sa série sur la corruption en Haïti intitulé L’ensauvagement macoute (pages 392-393),Leslie Péan a souligné la lutte menée par le PPLN dans la dénonciation de la corruption et de la dilapidation des deniers publics, l’exploitation de la magie et de la sorcellerie, des pratiques arbitraires destinées à perpétuer l’ignorance dans le pays. Il cite à cet égard la publication créole On Pas en Avant, datée du 8 avril 1962, dans laquelle les gens qui ont bien connu Marcel n’ont aucune difficulté à retrouver sa main et ses idées.
 
Après plusieurs arrestations, Marcel a eu la vie sauve en acceptant de prendre le chemin de l’exil en 1964, après plusieurs séjours derrière les barreaux. Dans un hommage rendu à Roger Gaillard en 2001, Suzie Castor écrit : « Roger se tourne vers l’histoire comme bouclier et instrument de mise en valeur de son travail intellectuel.» Quant aux autres membres connus du Comité central, Mario Rameau, Toto Guichard, Jean-Jacques Dessalines Ambroise et son épouse, ils disparaîtront en prison en 1965 à un moment où les idées de lutte armée et de fusion du PEP et du PPLN en un parti unique commençaient à faire leur chemin. Le PUCH, le Parti unifié des communistes haïtiens, était en gestation.

​
​Nos rencontres
Je revenais d’une semaine de vacances à Chicago en juillet 1976 quand je reçois un appel téléphonique de Marcel m’annonçant sa visite à Ottawa. Cela faisait plus de dix ans que nous nous étions perdus de vue, et cette rencontre se déroula dans une véritable atmosphère d’euphorie. Johanne avait trois ans et Marie-Cécile portait Martin. Quelle joie de revoir ce couple à qui je devais tant! En même temps, quelle tristesse que de remémorer les espoirs déçus, les illusions perdues et de voir défiler par la pensée les nombreux camarades tombés au combat.
 
J’ai alors retrouvé les Marcel que j’avais connus, aimé et admiré : le père de famille modèle, le mari attentionné, l’observateur attentif aux moindres nuances des situations les plus complexes, le penseur appliquant avec un naturel surprenant les ressources d’une logique implacable à la compréhension des faits les plus déroutants de la vie nationale. C’était une agréable soirée d’été, et nous étions restés assez tard dans la cour à parler de nos expériences respectives de l’exil, volontaire dans mon cas.


Hormis la grande tristesse qui se lisait sur son visage, l’homme n’avait pas changé. Généreux par tempérament, serein par habitude, d’humeur égale comme aux temps des luttes héroïques de l’UNMES et du PPLN, Marcel ne cessa jamais de m’étonner cette soirée-là. Je ne parvenais pas à comprendre, et je ne comprends toujours pas d’ailleurs, comment cet homme qui avait tant souffert de la dictature pouvait aborder l’actualité haïtienne et envisager l’après-Duvalier avec tant de calme. Et que dire alors du cheminement de sa pensée et de ses réflexions sur les malheurs de ce pays.
 
Le penseur de gauche qu’il a toujours été, le professeur de philosophie qui a toujours cru en les vertus de la dialectique, le révolutionnaire vaincu et démobilisé qui dut, pour survivre, prendre le chemin de l’Afrique ancestrale a poursuivi sa quête de remèdes au mal haïtien. Et il en a trouvé d’excellents, mais qui n’ont guère de chances de succès, si le malade ne coopère pas…
 
J’ai rencontré sur les terres d’exil des dizaines et des dizaines de vieux amis qui avaient au moins deux grilles d’analyse : l’une pour les questions théoriques et d’ordre général, l’autre pour les questions pratique et d’autre personnel. L’un d’entre eux, par exemple, ancien militaire réformé et emprisonné par Duvalier, était devenu à New York dans la cinquantaine un protestant allant assidûment au temple, bible à la main, et prônant le pardon. J’admirai sa sérénité jusqu’au moment où la conversation dériva sur l’après-Duvalier. Il s’enflamma alors au point de prôner des exécutions massives au Champ-de-Mars. Marcel, lui, n’avait qu’une seule grille d’analyse qu’il appliquait, en parfaite adéquation, à la fois aux situations théoriques et aux problèmes concrets.
 
Durant mes rencontres avec lui, la discussion porta un jour de l’été 1980 sur la détérioration de l’éducation au pays. Je me serais cru à l’une de ses classes de philosophie quand il m’expliqua que, le besoin créant l’organe, le pays avait sécrété de nouvelles valeurs après la fuite des cerveaux des années 1960 et qu’il avait recommencé à produire des universitaires aussi compétents que ceux de sa génération :
 
«Les travaux de jeunes normaliens que je lis sont aussi bons, me dit-il, que ceux que faisaient les gens de ma génération quand ils avaient leur âge. Il faut les applaudir  et construire l’avenir avec eux. » Je n’ai jamais entendu un tel discours de la bouche de quelqu’un d’autre. Chapeau bas, Monsieur le philosophe! Ma seule réserve, c’est que ce processus doit souvent s’étendre sur plusieurs générations…
 
Par la suite, nous nous sommes revus à chacun de ses passages à Montréal, et le bruit a couru à un moment donné que la gauche haïtienne de cette ville envisageait de se regrouper autour de lui pour une éventuelle candidature à la présidence. C’était sans compter sur la soif de pouvoir qui allait brouiller toutes les cartes au renversement de la dictature le 7 février 1986. Sans les vieux démons qui font de chaque militant de notre pays un candidat potentiel à la présidence…
 
L’évolution de ses idées

Je n’ai jamais discuté avec Marcel de sa participation aux élections générales de 1957, mais toujours eu l’impression qu’il a appuyé ans un premier temps la candidature de François Duvalier. Par la suite, il s’est lancé à fond dans l’action syndicale, puis dans le débat idéologique opposant le PEP et le PPLN, ce qui a relégué au second plan la discussion sur le rôle des partis politique en Haïti, l’opposition entre, d’un côté,  les Libéraux d’Edmond Paul et de Boyer Bazelais  et, de l’autre, les Nationaux de Louis Joseph Janvier, Démesvar Delorme et Lysius Salomon. Avec l’intégrité intellectuelle qu’on lui connaît, il a approfondi cette question dans ses années d’exil pour élaborer une vision qu’il a exposée en 1984-1995 dans la brochure  La patrie haïtienne : de Boyer Bazelais à l’unité historique du peuple haïtien.
 
En essence, Marcel développe dans cette brochure une vision tellement idéaliste de la vie et des alliances politiques qu’elle frise l’utopie. Pour barrer la route à ce qu’il appelle « la classe de pouvoir d’État», composée des immigrants-brasseurs d’affaires et bailleurs de fonds du Bord-de-mer alliés à des combinards bien souchés aux États-Unis, en République Dominicaine et ailleurs, Marcel préconise une alliance historique des  secteurs les plus progressistes de la Nation. Une alliance qui, en 1957 par exemple, aurait regroupé le travaillisme de Louis Déjoie, le justicialisme de Daniel Fignolé et le technocratisme de Clément Jumelle.
 
Marcel rappelle à bon escient le combat héroïque mené de 1870 à 1883 par les libéraux d’Edmond Paul et de Boyer Bazelais pour assainir les finances publiques, instituer un début d’industrialisation au pays pour combattre la pauvreté, freiner l’exode rural et lancer le pays dans la voie du progrès. Dans la guerre de slogans que l’on connaît « le pouvoir au plus grand nombre contre le pouvoir aux plus capables », le noirisme l’emporta pour porter au pouvoir Lysius Salomon qui, tout compte fait, fera énormément de tort au pays.
 
Il est intéressant de souligner à cet égard l’extraordinaire cheminement suivi par Marcel sur la terre d’exil, tandis que son vieil ami et camarade de cellule Leslie Manigat restera jusqu’à la fin de ses jours un admirateur inconditionnel du président Salomon.
 
À la lumière de l’aveuglement et l’individualisme sauvage avec lequel nos personnalités politiques abordent encore à la fin de janvier 2016 l’avenir du pays, il est permis de se demander si l’humanisme de Marcel et son souci illimité du bien public ne lui ont pas fait perdre à un moment donné  un certain  sens des réalités haïtiennes.
 
En effet, Marcel a sans doute raison de souligner l’importance de trois  facteurs  qui ont contribué à bloquer en 1957 l’unité historique envisagée pour le peuple haïtien :  l’influence de l’aile mulâtrisante de la clientèle de Déjoie qui a porté ce dernier à accumuler gaffes sur gaffes jusqu’à tenter l’aventure coup d’État des 24-25 mai; les manœuvres des  courants noiristes qui ont  porté le leader populaire Daniel Fignolé à rompre l’alliance avec l’industriel Louis Déjoie, puis à accepter le cadeau empoisonné de la présidence provisoire; l’absence de vision qui a empêché les intellectuels « progressistes » de saisir la possibilité --  offerte par  le courant jumelliste -- de dépassement historique de la question de couleur et d’instauration d’une ère de progrès économique et social en Haïti. Mais ne faut-il pas chercher en nous-mêmes les causes du refus systématique de participer à tout projet de sauvetage national conçu par un parti autre que le nôtre?
Les joies et les tristesses du retour
Comme la plupart des exilés politiques, Marcel est rentré au pays dès qu’il put se dégager de ses obligations professionnelles au Congo. Il y retrouva ses vieux amis d’enfance, notamment  les frères Simphar et Aramys Bontemps qui lui furent d’un grand secours dans les moments de malheurs des années 1960-1965,   Heneck Titus, dont il partagea la résidence de Delmas pendant plusieurs mois, ainsi que ses neveux et nièces Delano, Myrta, etc. Il retrouvait aussi les frères de combat et autres survivants de la période héroïque de l’UNMES et du PPLN, dont la présence lui fit beaucoup de bien après sa vingtaine d’années d’exil :  Max Chancy, Michel Hector, Claude Moïse, Gérard Pierre-Charles et Suzie Castor, ainsi que de nombreux anciens élèves, notamment René Théodore auto-propulsé à la tête du PUCH.


Je l’ai visité à quelques reprises en août 1986 chez Heneck et je dois dire que je l’ai trouvé un peu perdu, désorienté, attristé. Comme tous les militants sortis sans transition de la clandestinité pour affronter à visière levée les forces du statu quo, Marcel repartait en Haïti avec de sérieux handicaps. Les jeunes des générations qui venaient de faire violemment irruption sur la scène politique ne connaissaient aucun d’eux et ils avaient grandi dans un contexte que ces revenus de l’exil ne connaissaient pas. Jean Dominique l’avait dit dès sa descente d’avion. En outre, cette tranche de la population  avait déjà ses idoles, ses leaders et elle partait sans la formation requise à la conquête du pouvoir. Comme la belle équipe de Rivière Hérard et des signataires du Manifeste de Praslin à la chute de Boyer en 1843.

Je n’avais aucun moyen de prévoir comment la bamboche démocratique du général Namphy allait s’achever, surtout après les échauffourées de l’opération Rache Manyok de Mgr Romélus, mais j’étais très inquiet au moment de reprendre l’avion pour le Canada. Outre les préoccupations que l’avenir du pays suscitait en moi, il y avait Marcel que je voyais un peu comme Daniel dans la cage aux lions....


 Pour lire davantage au susjet de ce grand homme que fut Marcel Gilbert et d'autres personnalités importantes haitiennes, achetez les livres d Eddy Cavé " De Mémoire de Jérémien", Tome I et II  (Les Editions du CIDIHCA, Montréal Canada)

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